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Souriez-vous êtes nudgé- Quand le marketing infiltre l’État- Audrey Chabal

By 05/05/2021 No Comments

Vous ne connaissez pas les « nudges » ? C’est normal. Pourtant, ils sont partout. Telle la mouche au fond de l’urinoir, ces « coups de pouce pour aider à prendre la bonne décision » sont arrivés en France ces dernières années, en provenance des États-Unis. Leur théoricien, Richard Thaler, s’est vu décerner en 2017 le prix Nobel d’économie. L’État français en raffole et y forme ses élites. Emmanuel Macron a accéléré le recours à des cabinets de conseil privés chargés d’orienter nos comportements. À la faveur de la pandémie, le marketing a infiltré l’État. Masques « grand public », visuels de distanciation sociale et autorisations dérogatoires de déplacement, autant « d’incitations douces », de nudges, qui se sont imposés sans qu’on n’y prenne garde. « Raclette ou fondue ? » Raclette, pour ma part, sans hésiter. Ce jour-là pourtant, l’avantage, léger, est donné à la fondue. En cet après-midi du mois de mars 2020, une flânerie de confinement (saison 1) me fait tomber nez à nez avec un étrange boîtier à double entrée. D’un côté, les amateurs de raclette jettent leur mégot, de l’autre, ceux qui préfèrent la fondue y déposent le leur. Ces rectangles transparents recueillent les cigarettes des fumeurs qui ont ainsi l’impression de voter. C’est un « nudge » disposé à l’entrée d’un square parisien. Un « coup de coude ». Cette incitation ludique a pour but de conduire les fumeurs à ne pas jeter leur « garo » sur le trottoir. Chaque année, la mairie de Paris en collecte une montagne. Ce simple cendrier suffira-t-il à régler ce genre d’incivilité ? Cela semble peu probable et de fait, le dispositif ne fonc- tionne pas seul : écrase-mégots vissés sur les poubelles de rue, cendriers à l’entrée de certains immeubles ou lieux publics tels que les gares. Amendes, bien entendu : 68 euros la clope négligemment jetée à terre. Il est en effet plus sympa de voter pour un plat. Le nudge ne vient donc qu’en renfort d’autres dispositifs de politiques publiques. Si l’objectif de la ville de Paris, en installant ce cendrier à voter, est de limiter le nombre de cigarettes à terre et donc leur ramassage, où est le problème ? Ne fumant pas, j’ai été interpelée par ce mobilier urbain car je m’étais déjà penchée sur cette méthode douce pour inspirer la bonne décision, sous-titre d’un ouvrage à succès, Nudge3, qui a valu à ses auteurs une certaine notoriété. Le nudge est un outil de l’économie comportementale qui s’attache à étudier l’influence des émotions et des biais propres à chaque personne sur les décisions économiques. Ces biais cognitifs sont des distorsions dans le traitement d’une information, des raccourcis de la pensée opérés par notre cerveau et qui nous induisent en erreur. Le fumeur sait qu’il est indélicat de jeter sa cigarette à terre. Pourtant il le fait par habitude, sans y réfléchir. Avec l’économie comportementale, bye bye homo œconomicus, être parfaitement rationnel et doté d’un superordinateur à la place du cerveau permettant de faire des choix optimaux, mais égoïstes. Bonjour humain, être imparfait doté d’une intelligence relative et de capacités limitées, indécis, inconstant, émotif, social, en somme disons-le, irrationnel. Cela n’a l’air de rien, mais prendre en compte l’individu dans toute son imperfection est une révolution en écono- mie, pour le courant qui se réclame de l’économie « clas- sique » du moins. Trois chercheurs ont été couronnés par le Nobel d’économie pour leurs travaux sur les processus de décision et leur apport à l’économie comportementale, dont Richard Thaler en 2017, papa du nudge. « Bof. » Voilà la réaction d’un ami confronté au même cendrier « fondue ou raclette », mais cette fois avec une autre question : « Vous êtes plutôt pont Neuf ou pont des Arts ? », demande l’étrange boîtier à l’entrée d’un jardin. Encore faut-il savoir à quoi ressemble le pont Neuf pour espérer comparer. L’ami observe le cendrier à voter, je lui explique qu’il s’agit d’un nudge, outil dont il a vaguement entendu parler. Il reste dubitatif. « Pour moi, un nudge, ça se passe de commentaire. Typiquement, la mouche. » Ah, la mouche. C’est la référence ultime quand on parle de nudge. Messieurs, visualisez un urinoir. Au fond, une mouche. C’est tentant, n’est-ce pas ? Elle est dessinée en trompe-l’œil, évidemment, pour attirer votre attention et vous donner envie de viser. Je ne fréquente pas les pissotières, mais il paraît que cela vous amuse beaucoup. Ce stratagème a été mis en place dans les années 1990, à l’aéroport de Schiphol, aux Pays-Bas. La paternité de cette intervention simple et efficace reviendrait au responsable du département nettoyage de l’aéroport de l’époque. Jos van Bedaf, si vous voulez savoir. Pourquoi la mouche ? Parce que son image est associée à quelque chose d’insalubre, de peu apprécié sur lequel les hommes auraient plus envie d’uriner. Moins de pipi par terre égale moins de frais de nettoyage. CQFD. Chapitre 1 – Vous avez dit « nudge » ? Chapitre 2 – Quand l’État s’empare du comportementalisme Chapitre 3 – Sur la « pente savonneuse » des nudges

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