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La Castiglione-Vies et métamorphoses – Nicole G. ALBERT

By 21/01/2019 No Comments

Chaque vie est enfermée entre deux dates comme un cadavre entre les planches d’un cercueil. Au cimetière du Père-Lachaise, division 85, se trouve une sépulture, sobre et triste comme tant d’autres. Si elle renferme les restes de «la plus belle femme [de son] siècle», l’inscription laconique gravée dans la pierre ne dit rien que : Virginia Oldoïni/ Comtesse Vérasis de Castiglione/ 1837-1899. A la césure de ces chiffres, dans l’interstice de ce tiret muet, une vie engloutie, condensée. C’est à son déploiement, à la manière des fleurs de papier japonaises, que va s’attacher ce livre. L’intéressée avait elle-même fourni un grossier fil conducteur à une trajectoire qu’elle inscrivait, à quarante-cinq ans seulement, sous le signe de l’échec en découpant sa destinée en trois périodes : «quinze années d’enfance, quinze de jeunesse, quinze de vieillesse». Cette dernière allait s’avérer la plus longue…
Évoquant en 1930 La Cour des Tuileries sous le Second Empire, Ferdinand Bac distinguait dans «le cercle des beautés féminines, incomparable et légendaire, qui caractérise cette époque, […] une des figures les plus énigmatiques, les plus importantes et pourtant les plus éphémères» : Mme de Castiglione, qui «disparut aussi vite qu’elle était venue et l’on peut dire dans un nuage opaque». En effet, cette existence comporte des blancs, ou plutôt des noirs : disgrâce, passages à vide, traversée du Purgatoire, exil, solitude, déchéance, claustration dans la pénombre dont elle s’entoure peu à peu au propre comme au figuré, se résorbant pour finir dans cette chambre noire de l’appareil photographique qui si longtemps avait concouru à réfléchir sa lumière, à la faire durer sur la surface adamantine.
De nationalité italienne, fille de marquis, mariée à un comte au sortir de l’adolescence, chargée par le roi de Sardaigne Victor-Emmanuel II d’une mission secrète auprès de Napoléon III, elle séduit l’empereur et devient, à dix-neuf ans, sa scandaleuse maîtresse. Courtisane et espionne à ses heures dans une société verrouillée dont elle ébranle les pênes, celle que l’on qualifia de Divine évolua dans le monde de la haute société, se fit l’ambassadrice des souverains, avant de connaître la disgrâce et de choisir la réclusion. Son originalité débridée, sa morgue, son sens de la mise en scène fascinèrent avant de lasser. La créature flamboyante qui éblouissait les salons mondains connaîtra des camouflets qui aggraveront sa neurasthénie et ébranleront bientôt sa raison. Ce sont eux qu’enregistrent cruellement les photographies d’une femme qui, l’âge venant, masque ses miroirs, mais continue à offrir son visage inquiet à la chambre noire.

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